Pour avoir dit à l'oncle Jules qu'il était ridicule,
 Pour avoir dit à tante Ida qu'elle avait l'air d'un rat,
 Pour avoir pincé ma cousine
 Au fond de la cuisine,
 Pour avoir dit : zut à m'sieur l'sous-Préfet,
 Voilà, voilà ce qu'on m'a fait.
 On m'a, sans plus d'manières,
 Bouclé, bouclé.
 On m'a mis pensionnaire
 Dans l'collèg' dont j'n'ai pas la clef.

 Je suis le petit pensionnaire
 Qui rentr' au bahut l'dimanch' soir
 Après un seul jour éphémère
 De grand bonheur et d'espoir.
 Après les minutes exquises,
 Il faut retrouver le dortoir.
 La veilleuse bleue,
 La nuit grise
 Et le pion, ce monstre noir
 Comme un gendarme,
 Il m'suit des veux.
 La vie, pour moi, n'a plus de charme,
 Dans le vacarme
 Des heur's de jeu.
 Souvent je vers' plus d'une larme.
 J'm'endors en pensant à ma mère
 Et à mon gros chien que j'aim' tant.
 Je suis le petit pensionnaire,
 Qu'on vient d'enfermer pour longtemps.

 Les haricots du réfectoire
 Sont tous obligatoires
 Et les patat's et les navets
 Sont à vous fair' crever...
 Il faut manger un sal' potage
 Où les mouches surnagent,
 Alors, comm' je n'veux pas encor' mourir,
 Je mang' les mouch's pour me nourrir.
 J'n'ai pas de camarade.
 Je suis tout seul
 Et, quand je suis malade,
 Il faut chaqu' fois qu'j'en fass' mon deuil.

 Je suis le petit pensionnaire
 Qui rêv' de partir un matin
 Sur une grand'route si claire
 Qui m'conduira, c'est certain,
 Vers le paradis de lumière,
 La jolie maison de chez moi,
 Le jardin fleuri
 d'roses trémières.

 Et le vieux salon bourgeois
 Vers l'oncle Jules
 J'irai gaiement.
 J'dirai : bonjour à tante Ursule
 Et ma cousine
 Le cœur ballant,
 J'l'embrasserai sous les glycines...
 J'connaîtrai des nuits printanières
 Et de bien plus charmants réveils.
 Je n'serai plus le p'tit pensionnaire
 Et j'irai courir dans l'soleil.