M'ont tous connue, connue avant,
 Ils s'en rappellent,
 Au temps de l'eau et du pain noir,
 Sans mirabelle.
 Ils ont tout partagé :
 Leurs tartines beurrées,
 Ont couché dans leur lit
 Mes longues insomnies
 Et j'ai beau, j'ai beau chercher,
 En vain, j'appelle
 Mes souvenirs du temps passé,
 Mais infidèles,
 Je n'ai pas souvenir, du moindre souvenir
 Du paysage
 De leur visage.

 Ils étaient beaucoup moins nombreux,
 Je m'en rappelle,
 Au temps de l'eau et du pain noir
 Sans mirabelle.
 Ils ne me devaient rien.
 Qu'ils ne regrettent rien
 Mais qu'ils ne viennent pas
 Raconter qu'autrefois,
 Ils m'ont, souvenez-vous,
 Bercée sur leurs genoux,
 Les ra, les ra, les rapaces,
 Les ra, les ra, les rapaces.

 Ils m'inventeraient, pour un peu,
 Quelle indécence,
 Les premiers mots, les premiers jeux
 De mon enfance.
 M'ont connue à Passy,
 M'ont connue en Bavière
 Ou bien tout simplement
 A la soupe populaire
 Et moi, pas vue, pas vue, pas pris,
 Conte, raconte,
 J'ai le sourire bien poli
 Des femmes du monde,
 Et moi, mais oui, mais oui
 Et moi, merci, merci,
 D'être venue ce soir
 D'être venus, bonsoir.

 Hier encore, ils festoyaient
 A d'autre tables.
 Demain, c'est chez toi qu'ils iront
 Se mettre à table,
 Ces amis inconnus, que je n'ai jamais vus
 Mais qu'ils ne viennent pas
 Se chauffer sous mon toit.
 Qu'ils aillent donc porter leurs jambes
 Et ronds de jambes.
 Qu'ils portent ailleurs leur savoir-faire,
 Leurs belles manières.
 Sont vilains, sont pas beaux, sont ridicules,
 Bref, ils me font la tête comme une pendule.
 Oh, qu'ils ne viennent pas, je ne nourrirai pas
 Ces ra, ces ra, ces rapaces,
 Ces ra, ces ra, ces rapaces.

 A ceux qui m'ont connue avant
 Je suis fidèle
 Au temps de l'eau et du pain noir
 Sans mirabelle.
 Ceux qui ont partagé
 Leurs tartines beurrées
 Et couché dans leur lit
 Mes longues insomnies,
 Ceux-là, j'en ai le souvenir
 Dans ma mémoire,
 Ceux-là peuvent me revenir.
 C'est sans histoire.
 Qu'ils viennent aujourd'hui,
 Peuvent paraître.
 Ceux-là, je saurai bien
 Les reconnaître,
 Les amis d'autrefois,
 Ceux là qui ne sont pas
 Des ra, des ra, des rapaces,
 Des ra, des ra, des rapaces...