L'autre femme

Michel Sardou

Petit duplex au Sacré-Cœur
 Et le complexe du bonheur,
 Vendredi treize.
 Tout le confort à la maison
 Et pour garder son p'tit garçon,
 Une portugaise.
 Pas grand'chose de différent
 Des autres femmes de trente ans
 Sur cette butte,
 Mis à part un petit détail :
 Quand elle se rend à son travail,
 C'est pour aller faire la pute.

 Comme les filles de son espèce,
 Elle prend ses quartiers de noblesse
 Au fond des âges.
 Ses collègues sont en vérité
 De petites sœurs de charité,
 Pas d'avantage.
 Les malheureux au cœur blessé,
 Tous les amoureux délaissés,
 Ceux qui débutent,
 Les paumés de la société,
 Compagnons d'la timidité,
 Vont trouver l'amour chez les putes.

 Comme beaucoup de ses compagnes,
 Elle est venue de sa campagne
 Chercher fortune.
 Il y a des trésors plein la terre,
 Mais elle assure qu'elle préfère
 Ceux du bitume.
 Elle ne croit pas avoir son âme
 Plus noire que celle des autres femmes
 Que l'on culbute
 Mais dans ce monde unisexué,
 Y a autant d'hommes en vérité
 Que de jeunes femmes qui font la pute.

 Le temps va vite, le temps court,
 Dans ce vieux métier de l'amour
 Qui la fait vivre
 Mais elle gagne assez d'argent
 Et dans 10 ans ou dans 20 ans,
 Elle sera libre.
 Finies les dures nuits d'hiver
 Et les prix, dans les courants d'air,
 Que l'on discute.
 A nous la mer et le soleil
 Mais ce n'est pas demain la veille :
 Ce soir il faut faire la pute.